Un piège bien pensé (Jésus et la femme adultère)

(Jn 8, 1-11)

Une méditation de Sœur Olivia Désert, RMI (Milan, Italie)


Jésus, comme à son habitude, est allé prier, de nuit, au mont des Oliviers, un lieu tranquille, un peu à l’écart du bruit de la capitale, où il aime se retirer dans le silence. Où il se retrouve seul avec le Père…

Au petit matin, il redescend, il retourne vers ses frères, et le voilà de nouveau au cœur de Jérusalem, au Temple.
Il n’a pas même le temps d’y entrer que tout le peuple accourt vers Lui.

Alors il s’assied là, devant le Temple, et il se met à leur parler du Royaume des Cieux, de l’Amour infini du Père, du pardon fraternel, de la pauvreté de cœur, de la miséricorde… 

Il en parle si souvent de la miséricorde !
Celle de Dieu bien sûr, Père du “fils prodigue” et des deux débiteurs, de la brebis perdue et du publicain repentant… mais aussi celle que - comme “fils prodigues” pardonnés que nous sommes, alors que nous étions débiteurs envers Lui d’un débit impossible à rembourser - nous nous devons les uns aux autres.

Mais voilà, ça fait déjà quelque temps qu’il commence sérieusement à en agacer certains avec ses petites histoires, qui, mine de rien, remettent en question l’autorité de ceux qui connaissent  la loi, et se chargent de bien la faire respecter. Le plus à la lettre possible.

Mais cette fois ils ont trouvé le moyen de le mettre dans une impasse. Un piège bien pensé !
“Vous allez voir : là, soit il est bien obligé de se contredire, et il perd tout crédit. 
Soit il contredit Moïse (LE prophète par excellence, “l’homme le plus humble de la terre”, le législateur envoyé de Dieu), et donc s’oppose à la Loi… et ainsi à Dieu-même. Dans ce cas-là, il se condamne lui-même. Et nous aurons de quoi l’accuser : Blasphème ! Il mérite la mort !”
Oui, un piège bien pensé vraiment : Il devra choisir entre la Miséricorde qu'il prêche ou le respect de la Loi, de la Tradition.

Mais Jésus refuse d’entrer sur leur terrain. Il aurait pu le faire. Il y avait de quoi les mettre en échec par un argument tout simple : “Oui, il est vrai que le Décalogue dit : tu ne commettras pas d’adultère. Mais juste avant, il dit aussi : tu ne tueras pas*. Ces deux préceptes ont bien été donnés par Dieu à Moïse, sur le Mont Sinaï. Alors que les lois auxquelles vous faites référence** ont été ajoutées par la suite, puis mises sous l’autorité de Moïse : Vous, qui êtes des experts de la Torah, le savez bien. Et puisqu’il y a conflit entre deux préceptes (“tu ne tueras pas” et “elle sera lapidée par les gens de la ville, et elle mourra”), il faut évidemment choisir celui que Dieu a donné à son peuple sur les tables de pierre…”.

Au lieu de cela, il les oblige à descendre de la tête au cœur. De l’argumentation théorique et du froid jugement, à l’examen de conscience et l’expérience personnelle de leur condition de pécheur.

Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre.
Génialité de cette réponse de Jésus ! La nouvelle loi est instaurée, il vient à peine de l’écrire, non plus sur des tables de pierre, mais sur la pauvre terre de notre humanité, dans la boue, la poussière de notre cœur “compliqué et malade”… 
“Jésus, s'étant baissé, écrivait avec le doigt sur la terre…”.

Si nous pouvions encore la sentir résonner au cœur de notre conscience, cette petite phrase, chaque fois que nous assaille la tentation du jugement, du dénigrement, de la critique, de ces petites conversations mesquines où l’on “lapide” une personne qui vit dans le péché ou a fait quelque chose de moralement répréhensible !


Mais Jésus cautionnerait-il donc l’adultère ?
Jésus pardonne, Jésus libère, mais c’est une libération aussi magnifique qu’exigeante. Il ne nous dit pas : “Bah… ne fais donc pas attention à ces pharisiens, ces types d’un autre âge. Tu fais bien ce que tu veux de ton corps. C’est ta vie. Ton choix…”.

Non, rien de tout cela. 
“Va, et désormais ne pèche plus”
Je t’ai libérée. Je t’ai fait sortir de ta prison. N’y retourne pas, renonce à ce qui t’abaisse, à ce qui t’humilie et t’enferme. Renonce à ce mal qui blesse le cœur et la vie d’autres personnes. Renonce au péché. Choisis la vie, la plénitude de la vie !

Comme il est difficile d’être libre ! 
Est-ce que j’en veux vraiment de cette libération, qui me demande de renoncer à un plaisir ? Suis-je vraiment prêt à y renoncer ? Est-ce que je veux vraiment être libéré de cet esclavage-là ?
Ou au moins, ai-je “le désir de désirer” y renoncer, comme dirait St Ignace ?


Jésus, doux et humble de Cœur, change mon cœur de pierre en cœur de chair ! Toi qui as dit : “je ne te condamne pas”, rends mon cœur semblable au tien, non pas juge, mais miséricordieux ! 
…Et donne- moi d’accepter l’invitation que Tu me fais, la libération que Tu m’offres à moi aussi… Concède-moi la Grâce et le courage d’une vraie conversion !

Oui, en ce temps de Carême, donne-moi de passer de la sclérocardie à la miséricorde… de la dureté du cœur à la compassion du cœur. Et de l’esclavage du péché à la liberté des enfants de Dieu !

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*Cfr. Décalogue : Exode 20, 1-17
**Cfr. Deutéronome 22, 20-24 et Lévitique 20, 10

Les Vignerons homicides et toi

(Mt 21, 33-43.45-46)

Une méditation de Sœur Olivia Désert, RMI (Milan, Italie)

3 Vigne - Menetou Jacolin
- Un homme.
Plus exactement le propriétaire d'un domaine.
- La vigne qu'il y plante, qu'il entoure de soins, puis qu'il loue à des vignerons.
- Quelques vignerons. Qui sont donc locataires.
- Les fruits que l'on attend... en particulier le vin !
- Les serviteurs... 
Etc.

Jésus plante le décor, présente les personnages, et encore une fois nous raconte une histoire pour essayer d'ouvrir nos coeurs - longs à comprendre et lents à croire - au Mystère de Sa venue et à l'Amour du Père.

Essayons de décrypter :

L'homme, le patron, c'est Dieu bien sûr.
La vigne, dans la Bible, c'est le peuple élu, la propriété particulière de Yahvé: Israël.
Les vignerons, ceux qui sont chargés de s'occuper de cette vigne, ce sont les chefs des prêtres.
Les serviteurs envoyés par le patron pour se faire remettre les fruits de la vigne : les prophètes, envoyés par Dieu*.
Le fils...? C'est bien sûr Le Fils : Jésus, qui sera en effet tué après avoir été préalablement "jeté hors de la vigne", sur le Golgotha, en dehors de Jérusalem.
"Finalement, il leur envoya son fils". Finalement : En dernier.
Jésus, comme nous le dit saint Jean de la Croix, est la dernière Parole du Père. Dans Son Fils, Il nous dit tout. Il ne peut nous dire plus**. 

Et les fruits, le vin ?
Reprenons l'histoire, et essayons d'aller plus loin... et de rappocher la Parole de Dieu de nos vies.

La vigne est donc louée. Le patron, confiant, la laisse entre les mains des vignerons, à leur libre arbitre et à leurs bons soins.
Mais voilà que surgit un problème : les vignerons veulent se l'approprier. Cela ne leur suffit pas d'être locataires. Ils veulent être propriétaires. Ils ne veulent avoir de comptes à rendre à personne. Et surtout, ils semblent vouloir garder pour eux tout seuls les fruits de la vigne, et boire tout seuls le vin de la fête !
Depuis Adam et Ève, l'homme a appris à se méfier de Dieu. À ne pas croire vraiment en Sa Bienveillance...
Mieux vaut que je m'arrange tout seul pour être bien servi, pour choisir moi-même ce qui est bon pour moi ! C'est plus sûr !

Ne la reconnais-tu pas cette fichue peur de manquer, cette espèce de main-mise sur le bonheur ?
Mais ne comprends-tu pas que cette poursuite égoïste et possessive de "ce qui peut te rendre heureux" te rend malade, obsessionnel compulsif, et produit l'effet contraire ?

Partage donc ton temps, tes talents, ce que tu es et possèdes, les "fruits" de ta vigne... de ta vie. Et ceux-ci se multiplieront !
Ouvre grand les portes au Christ, confie-Lui ta vie, sans peur... Et le vin de la joie ne tarira pas, il coulera en abondance, pour toi, et pour ceux avec qui tu le partageras !
N'aie pas peur de tout donner, "le Christ n'enlève rien, il donne tout" !***

Et pour avoir l'héritage, ne suivons pas les mauvais calculs de ces vignerons avides (et idiots ! - a-t-on jamais vu un héritage revenir aux assassins de l'héritier ?) !
Ne chassons donc pas le Christ de nos vies, mais au contraire, accueillons-le, ouvrons-lui quand il se tient à notre porte et qu'il frappe... Et vivons en Lui, pour être "fils dans le Fils", être enfants de Dieu... c'est bien cela le véritable héritage !

Prends, Seigneur, et reçois 
toute ma liberté...
Et donne-moi seulement de T'aimer !

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* "Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes, toi qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n'avez pas voulu ! (Lc 13, 34)

** « Dès lors qu’Il nous a donné son Fils, qui est sa Parole, Dieu n’a pas d’autre parole à nous donner. Il nous a tout dit à la fois et d’un seul coup en cette seule Parole et il n’a rien de plus à dire ; car ce qu’Il disait par parties aux prophètes, Il l’a dit tout entier dans son Fils, en nous donnant ce tout qu’est son Fils. Voilà pourquoi celui qui voudrait maintenant l’interroger, ou désirerait une vision ou une révélation, non seulement ferait une folie, mais ferait injure à Dieu, en ne jetant pas les yeux uniquement sur le Christ, sans chercher autre chose ou quelque nouveauté ». (Carm. 2, 22, 3-5, paragraphe 65)

*** Cfr. BENOÎT XVI, lors de la ​Messe inaugurale d​e son​ Pontificat (24 avril 2005)
"En quelque sorte, n’avons-nous pas tous peur – si nous laissons entrer le Christ totalement en nous, si nous nous ouvrons totalement à lui – peur qu’il puisse nous déposséder d’une part de notre vie? N’avons-nous pas peur de renoncer à quelque chose de grand, d’unique, qui rend la vie si belle? Ne risquons-nous pas de nous trouver ensuite dans l’angoisse et privés de liberté? Et encore une fois le Pape (Jean-Paul II, dont Benoît XVI commente les paroles «N’ayez pas peur, au contraire, ouvrez tout grand les portes au Christ») voulait dire: Non! Celui qui fait entrer le Christ ne perd rien, rien – absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle et grande. Non! Dans cette amitié seulement s’ouvrent tout grand les portes de la vie. Dans cette amitié seulement se dévoilent réellement les grandes potentialités de la condition humaine. Dans cette amitié seulement nous faisons l’expérience de ce qui est beau et de ce qui libère. Ainsi, aujourd’hui, je voudrais, avec une grande force et une grande conviction, à partir d’une longue expérience de vie personnelle, vous dire, à vous les jeunes: n’ayez pas peur du Christ! Il n’enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne à lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vraie vie". 

Amen!